La métaphore de la « pilule rouge », tirée du film Matrix, est aujourd’hui si répandue qu’elle est passée dans le langage courant. On est redpilled quand on a compris que les grands médias mentent sur à peu près tout. La « pilule noire » est, si l’on veut, une overdose de pilule rouge. Ayant échappé à l’univers du mensonge médiatique avec la pilule rouge et ainsi pris pieds dans la réalité, vous allez, si vous prenez la pilule noire, sentir le sol s’effondrer à nouveau sous vos pieds et vous enfoncer dans un monde totalement fantasmatique, aussi noir et angoissant que le monde d’avant la pilule rouge était rose et rassurant.
La pilule noire ne libère pas, elle aliène. Elle vous fait perdre votre capacité de raisonner. Elle vous entraîne dans un vertige religieux descendant, une religion inversée. Elle vise à générer un climat de dépression et d’impuissance collective. Elle vise aussi à détourner l’attention. Car à côté des adeptes de Satan violeurs et dévoreurs de bébés, les adeptes de Yahvé font figures de doux agneaux ! Si l’internationale pédo-sataniste dirige le monde, alors rien d’autre n’a plus d’importance.
En France, un auteur semble avoir eu une influence considérable dans la propagation de ce paradigme pédo-satanique: Alexandre Lebreton. On me l’a mentionné si souvent que j’ai fini par lire son livre MK Ultra. Abus rituels et contrôle mental, un livre qui, à mon avis, produit beaucoup de confusion.
Notons d’abord que Lebreton fait une grande place aux souvenirs d’abus sexuels retrouvés lors de séance de thérapie hypnotique. Il n’est pas troublé par le fait que, dans la plupart des cas de ce type, les « souvenirs retrouvés » vont s’élaborer au fil des séances. La patiente va d’abord se persuader qu’elle a vécu « des trucs incestueux », et après s’être documentée, finit par se souvenir de programmation Monarch. Ainsi Lebreton rapporte au sujet de Brice Taylor, traitée par la thérapeute Catherine Gould, « qui l’a beaucoup aidée. Ce sont d’abord les abus sexuels dans l’enfance qui sont remontés, puis les souvenirs d’abus rituels sataniques et enfin les mémoires concernant la programmation MK. »
Jamais Lebreton ne considère la possibilité que de tels « souvenirs » soient au contraire le produit d’un trouble de la personnalité, aggravé par des pratiques dangereuses d’hypnothérapies. N’est-ce pas pourtant une hypothèse à prendre en compte ? On admet facilement que certaines de ces patientes qui élaborent des scénarios complexes d’abus durant leur petite enfance ont réellement été abusées d’une manière plus classique, et qu’un traumatisme ait causé une fragilité. Parfois, le traumatisme ne se situe pas dans l’enfance. Ainsi en est-il de Claudia Mullen, mentionnée par Lebreton : j’apprends, en quelques clics, que ses « souvenirs » d’enfance sont « remontés » après que, ayant subi un viol à l’âge adulte, elle entra en thérapie en 1992 avec Valérie Wolf. Cette dernière estima qu’elle avait les symptômes du survivant d’inceste, la mit sous hypnose, et l’aida à produire les « souvenirs » souhaités. Dans certaines conditions, un traumatisme physique avec hospitalisation peut déclencher des troubles mentaux, qui vont s’aggraver en thérapie : « En 1985 et en 1987 Brice Taylor, écrit Lebreton, a eu deux graves accidents. Ce sont les chocs provoqués par ces accidents qui ont commencé à faire remonter les souvenirs de son passé… beaucoup de souvenirs. »
Loin de moi l’idée que tous les « souvenirs » produits sous hypnose s’expliquent facilement. Chaque cas est particulier, et certains sont extrêmement troublants, démontrant des facultés et des fragilités de l’âme humaine qui sont hors du commun. Mais ce qui frappe, c’est au contraire l’empressement des auteurs de littérature à succès à faire rentrer tous les cas dans un grand sac unique auquel ils attachent l’étiquette qui leur plaît—l’étiquette MK-Ultra dans le cas de Lebreton.
Lebreton s’inscrit dans une école lancée par un livre paru en 1995, dont le titre français est L’Amérique en pleine transe-formation, et dont le sous-titre anglais est The true life story of a CIA mind control slave. Dans ce livre, Mark Phillips raconte comment il arracha Cathy O’Brien et sa fille d’un réseau gouvernemental qui avait fait d’elles des esclaves sexuelles. Sur la page Amazon du livre on lit que « C. O’Brien est une ancienne victime des expériences gouvernementales américaines de contrôle de l’esprit et a pu recouvrir ses ‘mémoires’ grâce aux travail et soutien de son compagnon Mark Phillips. » Les « expériences gouvernementales » pratiquées sur Cathy depuis son plus jeune âge aurait fractionné son esprit en personnalités multiples, de sorte que, écrit-elle : « J’avais une personnalité pour la pornographie, une personnalité pour la bestialité, une personnalité pour l’inceste, une personnalité pour résister aux horribles abus psychologiques de ma mère, une personnalité pour la prostitution, et le reste de ‘moi’ fonctionnait un peu ‘normalement’ à l’école. » Cathy, donc, fonctionnait à peu près normalement à l’école, c’est pourquoi ni ses proches ni elle-même n’avaient rien remarqué. La manière dont Phillips aida Cathy à « récupérer » ses souvenirs est sans surprise :
« Mon plus grand défi était d'apprendre à contrôler l'état de transe constant de Cathy pendant qu'elle mettait ses souvenirs par écrit. [...] grâce à mes propres recherches intensives en hypnothérapie, j’ai appris à contrôler les états de transe de Cathy. Je considérais cela comme une façon de la déshypnotiser. J’en vins à être considéré par les médecins de santé mentale comme un "expert" dans l'application de cet outil clinique peu utilisé pour récupérer la mémoire. »
Phillips est souvent décrit comme « un familier de la CIA », mais rien n’étaye cette prétention, et son récit me fait l’impression d’un tissu d’affabulations de la part d’un personnage trouble, qui ne cache d’ailleurs pas ses fréquentations criminelles. Il me semble probable que c’est Phillips, et non la CIA, qui a fait de Cathy O’Brien son esclave par l’hypnose, dans un but à la fois narcissique et mercantile.
Le manque de recul critique de Lebreton par rapport à ce cas et tant d’autres provient en partie de sa conception de la mémoire humaine sur le modèle du disque dur d’ordinateur, programmable et compartimentable :
« Nous pouvons ainsi comprendre que l’esprit d’un individu est potentiellement programmable tel un ordinateur avec des fichiers et des codes d’accès. Ce phénomène de fracturation de la personnalité est la pierre angulaire des abus rituels car il ‘déverrouille’ la psyché qui devient alors accessible pour y intégrer une programmation. »
Lebreton fait feu de tout bois, et recycle des clichés qui circulent depuis des décennies dans une littérature d’inspiration évangélique fondamentaliste américaine. Dans son premier chapitre, portant sur l’Institut Tavistock, Lebreton se base sur des auteurs comme John Coleman et Jim Keith, adeptes des théories les plus délirantes. Il reprend au premier l’idée que le succès des Beatles est un complot Illuminati, ou que Jimmy Carter était un « candidat Mandchou » programmé par son psychiatre de Tavistock. Lorsqu’il cite (de seconde main) des savants impliqués dans la recherche sur la psyché humaine, Lebreton leur fait des procès d’intention, comme si toute recherche sur la manipulation mentale était ouvertement ou secrètement au service de la manipulation mentale. Par exemple, il cite William Sargant, qui explique les principes du lavage de cerveau dans The Battle for the Mind: A Physiology of Conversion and Brain-Washing (1957), en laissant entendre que ce professeur recommande ou expérimente le lavage de cerveaux, ce qui est totalement faux, comme il est facile de le vérifier. Avec de telles méthodes, on pourrait facilement « démontrer » que Lebreton fait lui aussi l’apologie de la manipulation mentale. Et d’ailleurs, il me semble bien que, comme toute la sous-culture américaine qu’il véhicule, son livre a un côté manipulatoire et donc contreproductif par rapport à son objectif affiché. Tout n’est pas à jeter chez Lebreton, car il a aussi lu quelques livres sérieux. Le sien aurait pu faire une synthèse utile s’il était deux fois moins épais et se limitait aux informations puisées dans des sources crédibles. Malheureusement, le tri est difficile à faire.
Les limites de Lebreton viennent surtout du paradigme religieux qui domine sa vision du monde, et que résume bien cette phrase : « La puissance spirituelle ne peut venir que de deux sources : Jésus-Christ ou Satan… ». Mon expérience me dit qu’on ne peut attendre aucune rationalité sérieuse de la part de quelqu’un qui pense ainsi. Le paradigme de Lebreton, emprunté à un traditionalisme d’inspiration évangélique, détermine son regard sur les religions non-chrétiennes. Son chapitre 2 est un bric-à-brac informe de clichés assimilant toutes les religions antiques au satanisme, « sans oublier le druidisme celtique », et la gnose, bien sûr, et ainsi de conclure que MK-Ultra n’a rien inventé. Ainsi, « le ‘Livre des Morts Égyptien’ est un des premiers écrits faisant référence à l’utilisation de l’occultisme pour de la manipulation mentale. » Ou encore : « Le culte à Mystères d’Éleusis utilisait dans ses rituels une potion sacrée appelée Kukeon qui contenait de l’ergot de seigle et qui se rapprochait beaucoup du LSD actuel (puissant hallucinogène). » Et ce grotesque contresens : « Dans le texte Gnostique intitulé ‘Gospel of Phillip’ (sic), il est mentionné que ‘Dieu est un mangeur d’homme. C’est pour cette raison que les hommes sont (sacrifiés) à lui.’ » Avec une telle méthode, on pourrait facilement démontrer que les chrétiens mangent des bébés. Comme tous les chrétiens arque-boutés sur « la parole de Dieu », Lebreton a intériorisé la jalousie du dieu des Juifs : « Le polythéisme des Mésopotamiens, des Sumériens, des Assyriens, des Perses et des Babyloniens était complètement lié aux entités démoniaques. » Il assimile tout ça à la « religion sans nom », autrement dit le satanisme. C’est en effet Satan qui gouverne le monde, par les Illuminati :
« Satan aurait donc un plan établi pour régner sur terre et il utiliserait certains humains (lui vouant un culte) comme catalyseurs pour mettre en place son projet terrestre, des humains passés par la contre-initiation, une inversion de la sanctification aboutissant à des pouvoirs et des connexions d’ordre surnaturel… Il est intéressant de noter ici que la franc-maçonnerie se réfère également à de mystérieuses entités d’une autre dimension qui inspirent (pour ne pas dire qu’elles dictent) ses propres actions pour la mise en place de l’Ordre mondial. / Les Illuminati, ou encore ceux qui composent ‘l’élite dirigeante’ de la planète, semblent eux aussi avoir très vite compris l’avantage qu’ils pouvaient retirer de ces techniques pour dominer le monde. En fait, les Chrétiens auront reconnu que derrière ces techniques et ces tortures abominables, se cache la main de Satan, qui veut réduire l’humanité en esclavage, et se faire adorer comme Dieu, sous la forme de l’Antichrist (sic) annoncé par la Bible. »
Remarquons que, si Lebreton déteste toutes les religions sauf le christianisme, le judaïsme ne semble pas lui poser de problème. Il fait l’impasse sur les sacrifices rituels juifs, qui ont pourtant fait l’objet de travaux historiques, notamment par Ariel Toaff dans The Bloody Satanic Sacrifice Rituals of the Jewish Race (lire cet article de Ron Unz). Rien non plus, évidemment, sur la circoncision au huitième jour, véritable rite traumatique.
La cerise nazie sur le gâteau MK-Ultra
Par un autre réflexe qui ne surprend pas, Lebreton projette son prisme satanique sur les nazis. On a droit à l’amalgame entre Paperclip et MK-Ultra. L’ayant lu dans toutes ses sources, Lebreton est convaincu que MK-Ultra est peuplé de nazis, et ignore qu’à sa tête se trouvait un fils d’immigrants juifs hongrois (Sidney Gottlieb, Joseph Scheider de son vrai nom), et que parmi ses collaborateurs figuraient de nombreux juifs. Lebreton nous informe : « Un homme politique qui est lié de très près à ces programmes de MK m’a dit un jour que c’était Klaus Barbie qui était à l’origine de cette programmation. » Constatez le niveau d’argumentation.
Lebreton nous informe également que les nazis mettaient du fluor dans l’eau des camps de concentration. « Les nazis n’utilisaient évidemment pas ce produit pour améliorer la santé dentaire de leurs prisonniers, bien sûr que non, cette médication massive des réserves d’eau en fluor servait à stériliser les prisonniers et à les abrutir pour s’assurer de leur docilité. » Lebreton ne réalise même pas qu’il se contredit avec la phrase qui suit immédiatement : « Le chimiste Charles Perkins fut un des premiers à dénoncer les effets nocifs de la fluoraison de l’eau potable dans un essai qu’il publia en 1952. »
Le satanisme international, avec ses « esclaves sexuelles programmées par MK-Ultra » et autres fantasmagories, est un épouvantail qui sert à éloigner les curieux du sionisme international. C’est l’un des nombreux masques que revêt le sionisme international pour enfumer et décerveler les Goyim. Il existe de cela un indice qui ne trompe pas : la volonté de systématiquement ramener les nazis dans cette mythologie. Pour les concepteurs de cette imposture, il est important d’amalgamer satanisme et nazisme.
J’ai déjà signalé la présence suspecte de ce thème dans le film Out of Shadows: il y est question d’Himmler et de ses expérimentations maléfiques visant à créer une race de seigneurs, avec pour preuve une photo de son château d’allure gothique.
Le Néerlandais Robin de Ruiter, qui défend l’idée que le monde est dirigé depuis des siècles par treize lignées sataniques, affirme quant à lui que le médecin nazi Joseph Mengele « a joué un rôle crucial dans le développement du programme du Contrôle Mental Monarch. Il était non seulement le concepteur de ce programme, et il l’a également introduit dans le monde de la science. », et « faisait partie de la hiérarchie occulte en quête d’un contrôle total du monde » (propos extraits de sa préface au livre de Nathalie Augustina, Confession d’une top model, au délicieux sous-titre : Contrôle Mental Monarch, Esclavage et Abus Sexuel). De Ruiter a aussi collaboré avec Laurent Glauzy, fondateur de Pro Fide Catholica et auteur de Une élite sataniste dirige le monde (2017).
Aujourd’hui dans le monde francophone, la nouvelle pilule noire s’appelle Les Survivantes. Il n’est pas étonnant d’y retrouver encore les nazis complices des satanistes. Anne Bilheran, qui a préfacé le livre de la « survivante » Anneke Lucas, a écrit elle-même L’Internationale nazie, préfacé par Slobodan Despot et Jean-Dominique Michel. Elle a publié dans la revue du premier, Antipresse, un article dans lequel elle me critique indirectement, et écrit :
« Selon les témoignages de réseaux pédocriminels, notamment satanistes, que j’ai étudiés, environ la moitié dit venir de familles franchement nazies ou sympathisantes, quel que soit le niveau de l’échelle sociale ou le pays. […] D’après mes recherches, les nazis avaient une grande tolérance envers la pédocriminalité […]. Et leurs pratiques rituéliques comportaient de nombreux marqueurs du satanisme et de ses dérivés, avec un mélange d’occultisme inspiré des structures anglaises comme la Golden Dawn et de la culture germanique et nordique, comme le “Soleil noir”. »
C'est bien complexe cette histoire-là, et pour y démêler le vrai du faux, sans doute faut-il accepter de ne pas tout comprendre et attendre que des faits viennent éclairer notre vision?